Mense

Stoïque, le garçon subissait sans broncher les insultes de ses camarades. Il devait avoir huit ans, tout au plus. Parmi le groupe des railleurs, une grande majorité étaient bien plus grands que lui. Malgré son attitude sereine, ses mains se crispaient sur son arc. Généralement, ces idiots étaient moins zélés quand il s’agissait de le martyriser. Profitant de leur nombre, ils n’hésitaient pas tourmenter les enfants ne faisant pas parti de leur groupe. Mais aujourd’hui, ils s’y donnaient à cœur joie. Pour qui se prenais donc ce gamin qui, impassible à leurs insultes, continuait de faire comme si de rien n’étais ? Les petits caïds étaient habitués à la peur qu’ils engendraient chez leur victime. Face à Mense, ils ne rencontraient que de l’indifférence. C’est pour cette raison, sans doute, que sur le champ de tir à l’arc destiné aux initiés, il était le seul à s’attirer la foudre de la bande. Sentant monter la colère, il continuait pourtant calmement à tirer une par une les flèches de son arc, subissant les rires moqueurs de ses camarades à chaque fois qu’il ratait l’épouvantail en forme de démon qui tenais lieu de cible. Lorsque son carquois fut vide, il se s’éloigna tranquillement pour récupérer ses flèches. Un des enfants, le plus grand du groupe le poussa violemment. Mense trébucha, et sentit se déverser comme un torrent de feu toute la colère qu’il avait contenue en lui. Perdant le contrôle de ses actes, genoux à terre, le garçon banda son arc ce qui déclencha une explosion de rires chez ses agresseurs. Il ne comprit pas cette réaction, mais sous la colère, il n’y prêta aucune attention. Relâchant la fine corde de l’arc, il entendit le sifflement caractéristique de son vieil arc. Mais il perçut aussi un son bien différent de celui auquel l’avait habitué son arc. Une sorte de frémissement sonore, parcourant tout son corps, et dont l’épicentre était sa main droite. Cette pulsation d’une violence inouïe faisait vibrer l’ensemble de son corps et diffusait dans ses membres une douce chaleur. Tous cessèrent de rire et l’adolescent qui venait de le pousser blêmit. Alors que la corde de son arc vibrait encore, Mense observa sa main droite. Il n’avait plus de flèches. Ces dernières étaient encore fichées à même la terre ou sur l’épouvantail. Un trait de Lumière irisée filait vers son agresseur, tandis que son vieil arc, n’ayant pas supporté le choc, volait en éclat dans ses mains. Le novice fut percuté en plein torse, et effectua contre son gré une roulade arrière des plus impressionnantes. Retombant lourdement sur le dos, le gamin reprit son souffle. Il avait, en vérité, eut de la chance. S’il était resté une flèche dans le carquois de Mense, le jeune homme n’aurait pu survivre au projectile. Prenant conscience de ses actes, le mage se décomposa. Aujourd’hui, il aurait pu donner la mort.

Déjà, la bande de gamins reprenait du courage, et se dirigeait vers lui avec un air menaçant. Empli de culpabilité, Mense aurait pu rester immobile et attendre son châtiment si son instinct de survie n’avait pas pris le contrôle de son corps. Courant comme si sa vie en dépendait, le garçon s’engouffra dans la lisière de la forêt sans regarder en arrière. Pendant un temps indéfinissable, le tout jeune mage continua sa course effrénée sans regarder en arrière. Lorsqu’il s’arrêta enfin, Mense s’assit sur un tronc d’arbre. Les yeux emplis de larmes, il se demanda ce qu’il pouvait faire désormais. Il était à des lieux du village où il avait toujours vécu, dans une forêt aux nombreux dangers, et son arc était désormais détruit. Après un long moment d’apitoiement, l’enfant se rendit compte qu’il ne désirait nullement rentrer chez lui. Rien ne l’attendait là bas. Ses parents étaient morts avant qu’il n’ait eu le temps de les connaitre, et les enfants de son âge n’étaient que des crétins dangereux.

Une idée folle traversa l’esprit du jeune Mense. Pourrait-il vivre ici, en toute tranquillité, loin de tout ? Et pourquoi pas ? La nature avait toujours été bienfaisante avec lui. Pour preuve, elle lui avait accordée le don sacré de la dévotion, comme elle l’avait auparavant octroyée à sa défunte mère. N’étais ce pas une preuve de sa bienveillance ?
Un bruissement dans la jungle environnante vint interrompre ses réflexions. Une respiration rauque vint soudain accompagner le mouvement des feuilles. Inquiet, l’enfant plissa des yeux pour tenter de voir le nouvel arrivant. Un hurlement à lui glacer le sang transperça ses tympans, puis la bête se montra enfin.

Une bave jaune dégoulinant de sa gueule pleine de crocs, un sombroeil le lorgnait du regard. La dangerosité, mais surtout la cruauté de ces bêtes était bien connue chez le peuple des immaculés. Mense avait bien conscience qu’il n’avait aucune chance face à un tel monstre. Il lui vint pourtant une idée. Sa magie, qui s’était manifestée pour la première fois aujourd’hui, pourrait peut être le sauver. Le sombroeil, peu patient et avide de la viande tendre que lui fournirait une si jeune proie chargea vers sa cible, les griffes ornant ses pieds soulevant de la terre à chaque enjambée qu’il effectuait. Une lueur de défi brûlait pourtant dans les yeux de son futur repas. Une lueur des plus inquiétantes…
Mense se réfugia au plus profond de son être, là où vivait la magie qui l’habitait depuis sa naissance. Le fourmillement qu’il avait ressenti tout à l’heure se manifesta de nouveau sur l’ensemble de son corps. Bientôt, un rayon de lumière percuterait le monstre avec violence. Il le savait, il en était capable. Une douce lumière s’élevait de ses mains, lumière qu’il s’apprêtait à relâcher sur le sombroeil, désormais à quelques pas de lui. Néanmoins, au dernier moment, une crainte prit l’enfant à la gorge. Et si la magie relâchée faisait de lui un démon ? Les récits terrifiants qu’il entendait régulièrement sur les bêtes vivant au sein même des porteurs du don firent naitre le doute en lui. Cet instant d’hésitation fit disparaitre en lui toute l’énergie accumulée. Le sombroeil allait le tuer. Mais il préférait ce sort, à l’éclosion du démon.

Alors que tout semblait perdu, une créature qu’il ne parvint pas à identifier se plaça entre lui et son prédateur. Une sorte d’arbre mobile, doté de bras et de jambes, et couvert d’un feuillage gris cendré. Le monstre sembla alors hésiter. Les esprits des plantes, connus pour leur caractère craintif, ne protégeaient que bien rarement les victimes des Sombroeils. Bientôt, un nombre impressionnant de ces créatures forestières entourèrent l’agresseur. Seul contre tous, la bête préféra fuir la queue entre les jambes.
L’esprit des arbres à la chevelure de cendres tendit ce qui ressemblait fort à une main vers l’enfant abandonné à lui-même. Après une légère hésitation, Mense serra le bras de la créature. L’humanoïde lui fit signe de le suivre, ce qu’il fit avec joie. Ses nouveaux amis pourraient peut être lui offrir un lieu de vie bien plus agréable que ce qu’il avait vécu dans son village. Toute la tribu et le petit garçon s’engouffrèrent dans le plus profond de la forêt, sans un regard en arrière…


La nuit était tombée quand les enfants eurent enfin le courage de raconter ce qu’il venait de se passer à leurs parents, qui allèrent aussitôt chercher le sage. Furieux contre les gamins, Kenär déclara que des recherches débuteraient dès à présent, même si il semblait bien improbable qu’ils parviennent à retrouver le disparu en vie.